Crédit: Article adapté d’une publication originale sur le site de l’EPFL, les textes, les images et les vidéos sont sous licence CC BY-SA 4.0
Les plus de 800 mini-centrales hydrauliques en attente d’être homologuées pourraient menacer la biodiversité des écosystèmes fluviaux suisses. Une politique éclairée contribuerait à préserver l’environnement.
Vu la récente décision de nos autorités d’abandonner l’énergie atomique et de développer son équivalent hydraulique, la quasi-totalité des rivières helvétiques sera exploitée, ce qui peut être un atout, à condition de procéder avec bon sens.
Il faut s’attendre à une prolifération de mini-centrales hydro-électriques avec des installations d’une capacité inférieure à 10 MW, d’autant que leur mise en place se révèle plus rapide et moins coûteuse.
Depuis que le Conseil fédéral et les Offices fédéraux de l’environnement et de l’énergie ont décidé d’investir dans l’énergie hydraulique, on dénombre environ 800 nouveaux projets destinés à être placés dans des vallées disséminées sur l’ensemble du territoire suisse. Plusieurs d’entre eux ont déjà été approuvés et sont désormais en construction.
Des mesures ont certes été prises afin de limiter l’impact environnemental et de s’assurer que les cours d’eau ne s’assèchent jamais. Pourtant, le problème est ailleurs, car nous supprimons ainsi la variabilité naturelle du réseau fluvial.
Le défi est donc d’arriver à concilier tant une gestion écologique qu’économique des cours d’eau. En 1992, la population helvétique a adopté une loi de protection stipulant qu’un débit résiduel minimal devait couler dans toutes les rivières exploitées, par exemple pour générer de l’énergie hydraulique. Aujourd’hui, cette clause fixe un débit plancher. En de nombreux endroits, on impose même une double valeur limite ou plus en fonction des saisons.
La plupart et peut-être même tous les phénomènes fluviaux sont dictés par des variations de débit causées par les précipitations et la fonte des neiges ou des glaces au sein du bassin versant.
Prenez le transport de sédiments. Des particules de différentes tailles sont charriées et déposées par des débits fluctuants qui créent et déplacent les zones d’habitat. Les crues permettent quant à elles de relier une rivière à ses plaines alluviales, ce qui garantit une bonne hydratation des sols, un apport adéquat en nutriments et le nettoyage des débris – autant de plus pour la flore et la faune.
Dans la Vallemaggia par exemple, on a observé et quantifié les effets de débits modifiés de façon artificielle sur un système fortement exploité et régulé au moyen d’une double valeur limite. Il est apparu qu’une telle technique entraînait une modification de la végétation et de ses processus de renouvellement.
Le problème dans un tel cas est qu’il ne suffit pas de rétablir un débit normal pour déloger les nouveaux arbres et plantes qui se sont installés et ont développé de profondes racines. Les végétaux sont alors trop vieux. Il faut du temps pour que le système retrouve son état originel.
Nous avons décidé de résoudre ce problème en appliquant une approche empruntée à l’économie, appelée « analyse marginale ». Prenons par exemple deux personnes assoiffées, avec seulement deux litres d’eau à leur offrir. L’une n’aura besoin que d’un litre pour étancher complètement sa soif et la seconde de trois.
La théorie dite « marginale » part du principe qu’il existe un point où ces deux litres à disposition sont distribués de manière optimale, soit lorsque les deux individus atteignent un seuil où ils vont accorder la même valeur à la prochaine gorgée qui leur sera offerte.
En réfléchissant de la sorte, il est tout à fait possible de distribuer de l’eau aux consommateurs et à l’environnement de telle sorte que les parties impliquées en bénéficient à parts égales.
En optant pour cette méthode que nous avons récemment publiée, le débit déversé en aval des points de prélèvement – c’est-à-dire le volume d’eau restitué à l’environnement – est très proche de celui d’un écosystème fluvial usuel, avec une variabilité similaire, mais une importance moindre.
Tout dépend de la gestion de l’eau dans nos écosystèmes. Il est certes possible d’exploiter une rivière pendant 40 à 50 ans, puis de décider de lui rendre son état naturel, mais nous ne savons pas comment l’écosystème va réagir. Est-ce que cela fait vraiment sens d’investir massivement dans une éventuelle reconstruction prévue dans un demi-siècle alors qu’il suffirait d’investir aujourd’hui une somme d’argent moindre tout en réduisant les perturbations environnementales subséquentes?
Notre recherche montre que l’on pourrait sans autre troquer notre politique de « remise en état » contre une approche préservative. Exploitons les rivières économiquement parlant, mais réduisons notre impact afin d’éviter de futures grosses dépenses. Nos écosystèmes ne sont pas indéfiniment résilients. À partir d’un certain seuil, remettre une rivière en état ne suffit plus pour les reconstituer.
Crédit: Article adapté d’une publication originale sur le site de l’EPFL, les textes, les images et les vidéos sont sous licence CC BY-SA 4.0