Crédit: Article adapté d’une publication originale sur le site de l’EPFL, les textes, les images et les vidéos sont sous licence CC BY-SA 4.0
L’énergie grise des bâtiments mérite plus de transparence et la mise en place de normes internationales. C’est le message d’un ouvrage de référence co-rédigé par Francesco Pomponi, Alice Moncaster et Catherine De Wolf, post-doctorante à l’EPFL.
Catherine De Wolf, architecte et ingénieur en génie civil, est en post-doctorat à Fribourg au Laboratoire d'exploration structurale (SXL) du smart living lab. Avec Francesco Pomponi, premier auteur et Alice Moncaster, qui encadrait ses recherches à l'Université de Cambridge, elle présente dans un ouvrage des recherches inédites sur l’énergie grise menées par des experts internationaux.
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Mais de quoi parle-t-on exactement? Du «carbone gris», aussi appelé «carbone intrinsèque» ou, en anglais, embodied carbon. Ces termes désignent en construction le bilan CO2 lié à l’énergie grise d’un bâtiment.
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Le carbone gris comprend les émissions de gaz à effet de serre produites durant l’extraction des matériaux nécessaires à la construction d’un bâtiment, leur transport, la phase de chantier, les rénovations, puis la démolition, jusqu’à la potentielle revalorisation des matériaux. Il n’inclut pas celui du «carbone opérationnel» lié à l’exploitation. Ce dernier comprend notamment la consommation d’électricité, de chauffage ou d’eau chaude.
Un bilan aussi nécessaire que d’actualité, précise la chercheuse: «A l’issue des Accords de Paris sur le climat, de nombreux pays ont accepté de prendre des mesures pour limiter leur production de CO2 dans la construction. Or, il n’existe pas encore de consensus au niveau international sur la façon de mesurer les émissions liées à l’énergie grise de ce secteur. Il était donc temps de proposer un livre de référence qui offre une synthèse des connaissances récentes sur le sujet.»
Catherine De Wolf rappelle que le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC) indique que le secteur du bâtiment doit atteindre un bilan carbone de zéro d’ici à 2050 pour éviter une crise majeure. Or, actuellement, 5% des émissions de gaz à effet de serre mondiales sont issues de la fabrication du ciment et 5%, de la fabrication de l’acier.
Alors que le carbone gris est un enjeu crucial de la crise climatique, il reste sous-estimé et mal évalué par le monde de la construction. L'ouvrage appelle ainsi les professionnels et les chercheurs à une prise de conscience globale et à revoir leur pratique, tout en apportant des solutions concrètes pour amener plus de transparence dans ce secteur.
Sa première partie montre en effet que le calcul du carbone gris est encore approximatif et que la collecte des données reste un défi. En théorie, ce calcul applique un coefficient à la quantité de matériaux utilisée dans la production d’un bâtiment. En pratique, les éléments pris en compte par le coefficient varient d’une région à l’autre du monde, en raison de l’absence de normes et du manque de transparence de certains acteurs du domaine.
«Seules l’extraction et la production des matériaux sont souvent inclues dans ce coefficient. Mais il faut aussi tenir compte de la quantité de CO2 émise lors de la construction du bâtiment et lors du transport des matériaux vers le chantier, celle liée à la maintenance et à la rénovation du bâtiment et à sa démolition», précise la chercheuse.
Pour parvenir à plus de cohérence, l’ouvrage montre comment intégrer ces paramètres dès la conception d’un bâtiment. L’usage de maquettes numériques (Building Information Modeling) devrait en partie aider à résoudre ce problème, selon la chercheuse.
L’ouvrage propose également de mettre en place une économie circulaire des matériaux. Ceci impliquerait de développer des inventaires de matériaux usagés réutilisables dans de nouvelles constructions. Une pratique encore «trop peu établie dans le secteur», pour Catherine De Wolf.
Le développement de documents officiels qui décrivent l’impact de chaque matériau apporterait également plus de transparence aux ingénieurs et aux architectes. A l’image de l’étiquette de nos aliments qui en indique la provenance et, donc, le bilan CO2. Cette solution en entraînerait logiquement une autre: l’usage de matériaux locaux et naturels.
Enfin, les auteurs exhortent les ingénieurs à inventer des matériaux toujours écologiques, à l’exemple des éco-ciments et des bio-ciments développés à l’EPFL et à en réduire la quantité lors de constructions.
Fait notable, l’ouvrage offre un tour d’horizon mondial des pratiques en cours, de l’Afrique à l’Australie et de l’Europe à la Chine, en passant par l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud. L’Europe et la Commission européenne se positionnent en leader dans la recherche de normes internationales dans le carbone gris, sans pour autant avoir encore atteint leur but.
A l’inverse, en Amérique du Nord, en l’absence de mesure gouvernementale, c’est l’industrie qui réclame des normes aux universitaires. Plusieurs grandes entreprises américaines ont ainsi directement approché Catherine De Wolf lorsqu’elle rédigeait sa thèse au MIT avec comme objectif de devenir le leader dans ce secteur.
Et la Suisse, dans tout cela? «Avec la recherche menée par les EPF et notamment au smart living lab de Fribourg, je pense que la Suisse est bien positionnée pour devenir pionnière sur ces questions-là. Et il y a un vrai lien avec la pratique, ce qui favorise la mise en place de ce type de mesures», observe la chercheuse.
Crédit: Article adapté d’une publication originale sur le site de l’EPFL, les textes, les images et les vidéos sont sous licence CC BY-SA 4.0